Net Zéro : Comment y parvenir en réalité ?

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Par

Leila Khammari, CAIA

Directrice adjointe | Analyste produits financiers | Responsable Corporate engagement

Depuis la signature des accords de Paris et l’engagement collectif de plus de 190 nations en 2015, une forte prise de conscience s’est installée. Nous réalisons aujourd’hui plus que jamais qu’on est confronté à une réelle crise climatique et qu’il est nécessaire d’agir et de déployer rapidement les gros moyens partout où c’est possible. Le but est de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés et de préférence en dessous de 1,5 degré au-dessus des niveaux préindustriels d’ici 2100. Si cet objectif n’est pas respecté, notre environnement sera gravement endommagé, et ce de manière irréversible.

Après bientôt 7 ans de cet engagement collectif, nous sommes toujours loin du compte. En prenant en compte les engagements déjà annoncés, certaines études parlent d’une augmentation des températures bien au-delà des 2 degrés souhaités (le GIEC estime que les engagements actuels nous conduisent vers une augmentation entre +2.5 degrés et +3 degrés). Il est clair que les sociétés et les industries doivent s’engager d’une manière cohérente afin de fermer l’écart et s’aligner avec les objectifs recherchés.

Source: Climate Action Tracker (Warming Projections Global Update: novembre 2021).

Aujourd’hui et avec une règlementation de plus en plus stricte pour les émissions carbone, les sociétés se trouvent poussées à fixer des objectifs de réductions de leurs émissions.

Ce mouvement s’est fait la plupart du temps non pas par conviction, mais plutôt dans une optique d’amélioration d’efficacité permettant à terme une meilleure gestion des coûts et une réduction des risques.

Cet engagement a aussi l’avantage d’ouvrir un potentiel pour de nouvelles opportunités et une meilleure résilience face à des concurrents qui se font bouder par les consommateurs et qui voient souvent leur réputation touchée par les médias qui sont de plus en plus nombreux à dénoncer l’inaction et le greenwashing.

Mais comment pouvons-nous évaluer si l’engagement d’un pays ou d’une entreprise est suffisant et comment analyser l’impact de cet engagement ?

Au niveau des pays, l’engagement est d’abord mesuré par sa taille et son délai. On a souvent un objectif fixé pour la neutralité carbone (nous devons atteindre la neutralité carbone à l’échelle mondiale avant 2050) ainsi que des objectifs intermédiaires qui sont souvent fixés pour 2030 avec une baisse minimum tolérée. Ensuite, on a l’effort réalisé réellement qui est suivi par les « Nationally Determined Contribution (NDC) » qui décrit le plan de réduction des émissions de carbone ainsi que les avancées déjà mises en place.

Lors de la dernière COP26, nous avons noté une plus grande ambition en matière de réduction des émissions de la part de pays clés comme la Chine et l’Inde. Tous les pays ont également convenu de revoir leurs NDC chaque année plutôt que tous les cinq ans comme initialement fixés par l’accord de Paris en 2015.

Parmi les engagements les plus récents, on note la réduction des émissions de méthane (environ 30%) pour plus de 100 pays et une action plus stricte pour contrer la déforestation pour l’horizon 2030. Bien que critiquées, ces promesses représentent un pas en avant non négligeable.  

En ce qui concerne le charbon, l’engagement n’a pas été à la hauteur des attentes, mais on a au moins une déclaration de transition du charbon vers les énergies plus propres d’ici 2030. Et là aussi malgré l’absence de grands producteurs de charbon comme la Chine et l’Inde, n’oublions pas que ces pays ont également annoncé des objectifs ambitieux en matière de développement des énergies renouvelables.

Une des solutions fortement considérées par plusieurs pays, notamment l’Union européenne, est la tarification du carbone. Ce mécanisme associe un prix à payer pour chaque tonne de carbone rejetée dans l’atmosphère. Il représente l’avantage de capturer les coûts de l’impact environnemental (en incitant à adopter une consommation plus durable et à mettre en place des outils de réduction de l’impact environnemental), mais aussi d’encourager les investissements dans les technologies qui vont aider à accélérer les objectifs du Net zéro.

L’Union européenne a par exemple proposé de mettre en place des tarifs frontaliers du carbone sur les biens importés. Plusieurs pays sont en train d’étudier cette proposition également.

À noter qu’il existe deux principales stratégies quand on parle de tarification du carbone :

  • Les ETS (Emission Trading Systems) : est un système d’échange de droits d’émissions qui plafonne le niveau total des émissions et permet aux sociétés à faibles émissions de vendre leurs quotas supplémentaires à d’autres sociétés.
  • La taxe carbone qui fixe un prix sur le carbone. La principale différence avec les ETS est que le prix du carbone est fixé dès le départ.

Le choix de stratégie dépendra de la situation de chaque région.

Prenons le cas de la Suisse qui vise la neutralité carbone pour 2050 avec une réduction intermédiaire de 50% de ses émissions d’ici 2030 par rapport au niveau de référence de ses émissions de 1990. L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) est l’organe qui a la charge d’évaluer la situation de la Suisse et de mettre en place un plan d’action prenant en compte toutes les pistes possibles.

En effet, le Conseil fédéral a adopté la Stratégie climatique à long terme de la Suisse le 27 janvier 2021 et satisfait ainsi aux exigences de l’Accord de Paris pour l’établissement d’une stratégie climatique à l’horizon 2050.

L’objectif a été fixé pour réduire d’ici 2050 de 95% les émissions pour les secteurs de l’industrie, des transports et du bâtiment en mettant en avant des technologies plus propres et une utilisation plus importante des énergies renouvelables, mais pas seulement. La Suisse a également prévu de compenser une partie de ses émissions (essentiellement pour les émissions difficiles à réduire en pratique, notamment en lien avec le secteur agricole et la production de ciment) grâce à des projets de compensations signées auprès d’autres pays étrangers comme le Ghana et le Pérou. Ces projets devraient tout de même être remplacés sur le plus long terme par d’autres engagements. Il est vrai qu’à ce jour les capacités en matière de stockage géologique restent limitées en Suisse d’où la nécessité de recourir à ce type de solution.

Ci-dessous, la projection de la trajectoire des émissions estimées selon le plan d’action suisse. À noter que la stratégie de la suisse ne détaille pas encore les mesures exactes qui seront implémentés, mais permet de définir les objectifs à atteindre pour chaque secteur, à savoir réduction totale des émissions des bâtiments et des transports (quelques exceptions pour le transport aérien avec des émissions d’origine fossile à zéro et une réduction d’autres effets sur le climat avec des projets de compensations entre autres) d’ici 2050, une baisse de 90% des émissions pour le secteur industriel.

À noter qu’au niveau de sa production électrique, la Suisse dispose d’un système à très faible intensité carbone avec environ 60% de sa production qui provient de centrales hydrauliques (environ 600 centrales à ce jour) et le reste provient de centrales nucléaires.

Source : Stratégie climatique à long terme © OFEV 2021

Ci-dessous les 10 principes qui vont guider la stratégie suisse telle que spécifiée dans la « Stratégie climatique à long terme de la Suisse » :

  1. La Suisse saisit les possibilités offertes par une transition cohérente vers le zéro net.
  2. La Suisse assume sa responsabilité en matière de politique climatique.
  3. La réduction des émissions intérieures est privilégiée.
  4. Les émissions sont réduites tout au long des chaînes de valeur ajoutée.
  5. Tous les agents énergétiques sont utilisés de manière parcimonieuse et en tenant compte des possibilités d’application optimales.
  6. Dans tous les domaines liés au climat, la Confédération et les cantons axent leurs activités de planification en vue de l’obtention du zéro net.
  7. La transition vers le zéro net s’effectue de manière socialement acceptable.
  8. La transition vers le zéro net s’effectue de manière économiquement supportable.
  9. La transition vers le zéro net s’accompagne d’une amélioration de la qualité de l’environnement.
  10. La stratégie climatique à long terme se fonde sur le principe de l’ouverture à la technologie.

À ce jour, étant donné les engagements de Net zéro et les efforts déployés ainsi que la trajectoire tenue, il reste tout de même difficile d’affirmer si la Suisse est sur la bonne voie pour atteindre les objectifs fixés. Mais, n’oublions pas que la Suisse compte un grand nombre d’entreprises novatrices notamment celles actives dans les Cleantech ce qui devrait favoriser l’évolution positive des solutions domestiques de stockage et captage de carbone. Affaire à suivre…

Au niveau des sociétés, le suivi et l’évaluation des engagements restent également compliqués, car souvent on a besoin d’une estimation qualitative en plus d’une appréciation quantitative. Le point de départ sera toujours les données ESG publiées par les sociétés ainsi que les engagements fixés par le top management. L’approche choisie par chaque entreprise sera unique et nécessitera une évaluation au cas par cas afin que l’analyste puisse évaluer la qualité de gestion des questions climatiques, la capacité de la société à résister en termes de son activité opérationnelle en cas d’exposition à des défis climatiques sur le court, moyen et long terme ainsi que la capacité à tirer profit des opportunités émergentes liées aux changements climatiques.

Dans le cadre de cette évaluation, l’analyste va se retrouver en général face à 3 types de sociétés :

  • Celles qui sont très lentes à agir et à s’engager : généralement ceci traduit le manque de volonté du management à prendre des décisions qui risquent d’avoir un impact financier pour la société sur le court terme et donc par besoin de sécurité ou par manque de prise de conscience la société se trouve pénalisée par le comportement de ses propres dirigeants.
  •  Des sociétés qui fixent des objectifs moins stricts qui se basent sur les réductions d’émissions que le management pense possibles à atteindre en déployant moins d’efforts et le minimum de coûts. Généralement ces objectifs sont non fondés sur la science du climat ou des mesures climatiques normalisée. Cela peut être un signal d’alarme pour ce type d’entreprise sur le plus long terme (exposition à des risques de réputation, risques élevés de coûts sur le long terme, etc.). Un des projets souvent proposés par ces sociétés est la compensation des émissions carbone où on peut financer des activités par l’achat de crédits carbone qui permettent de contrebalancer les émissions annuelles. À noter que ces crédits carbone peuvent être facilement échangés sur le marché. Cette méthode nous semble insuffisante sans une stratégie ambitieuse de réduction des émissions.
  • Des sociétés avec des engagements Net zéro robustes avec une stratégie claire qui spécifie dans le détail les projets et actions mis en place, les personnes en charge de l’implémentation de ces projets ainsi que les délais à respecter. Le management de la société définit une trajectoire « carbone neutre » à une certaine date, généralement 2050, conformément à l’Accord de Paris. Ici il faut encore faire attention si ces engagements sont suffisants ou pas et surtout pouvoir analyser quelle méthode va être appliqué afin de parvenir à l’objectif fixé : est-ce que la société a prévu de modifier sa manière d’agir ou au contraire elle va opter pour des projets de compensations de carbone ce qui risque de retarder les réductions d’émissions réelles qui sont essentielles à terme. Pour finir, il convient de vérifier si la société prend en compte la totalité de son impact en incluant les 3 scopes d’émissions dans ces projections Net zéro : pour certaines industries le scope 3 peut représenter une grande partie de l’impact carbone et s’il n’est pas pris en considération nous aurons des niveaux d’engagement largement insuffisants. Le graphique ci-dessous illustre les différents scopes d’émissions pour une entreprise.

En ce qui concerne les stratégies appliquées, on a une large diversité dans les solutions adaptées par les entreprises. Les plus engagées cherchent des solutions de réductions des émissions applicables au niveau de leurs activités opérationnelles et leurs chaines de valeur.

Pour mieux comprendre l’implémentation d’une stratégie neutre carbone au niveau des entreprises, on vous expose ci-dessous quelques exemples concrets d’entreprises investies dans nos portefeuilles.

Saint-Gobain s’est engagée en 2019 pour un objectif neutre carbone d’ici 2050 et un objectif intermédiaire de 33% de réduction avant 2030 (pour le scope 1 et 2) ainsi qu’une réduction de 16% pour son scope 3. Ce plan d’action a été validé par la Science-Based Targets Initiative. À noter qu’une bonne partie de la rémunération de ses dirigeants (allant parfois jusqu’à 20%) est aujourd’hui liée à la performance des objectifs durables fixés. L’enveloppe consacrée à la recherche & développement allant dans le sens de l’optimisation du plan d’action est aussi revue à la hausse (plus de 100 millions d’EUR par année).

La société utilise plusieurs leviers afin d’atteindre ses objectifs. Les plus importants sont comme suit :

  • Revue de la conception de ses produits : réduction des pertes de production, développement de produits plus légers et intégration de contenu recyclé.
  • Revue de la composition des matériaux : recherche d’alternatives plus durables avec des matières premières à moindre intensité en carbone.
  • Amélioration de l’efficacité énergétique des procédés industriels : réutilisation de l’énergie, modifier et optimiser les procédés pour réduire la consommation.
  • Évolution du mix énergétique vers des sources d’énergie renouvelables.
  • Collaboration avec les fournisseurs et les transporteurs afin de les inciter à réduire leurs émissions.
  • Enfin, pour les émissions résiduelles, elles seront réduites grâce à des technologies de capture et de séquestration.

Michelin, a annoncé son engagement Net Zéro en 2021.

Elle sera désormais carbone neutre en 2050 et ce pour les scopes 1, 2 et 3 (focus uniquement pour la partie transport pour ce dernier).

Le plan d’action de Michelin sera soumis cette année à l’approbation de la Science-Based Targets Initiative.

Pour y arriver, elle va essentiellement augmenter fortement le taux de matériaux durables présents dans l’ensemble de ses produits (40% d’ici 2030 et 100% en 2050).

Dans son approche Michelin vise à intégrer de plus en plus des matériaux recyclés et durables dans sa production. Cette volonté est rendue possible par une maturité technologique très avancée dans le domaine des matériaux de haute technologie et une multitude de programmes de recherches en innovation.

Grâce à sa vision et ses investissements, Michelin a déjà un positionnement de leader dans la conception et la fabrication de pneus adaptés aux spécificités des véhicules électriques.

Elle s’est fixé un objectif pour maintenir un rythme élevé d’innovations pour ses produits et services (plus de 30% d’ici 2030) et une utilisation de 100% de matériaux durables dans ses pneus à terme (40% d’ici 2030).

Le modèle de croissance et de création de valeur de Michelin repose dorénavant sur 3 piliers : People, Profit & Planet.

Conclusion

Pour limiter les conséquences du réchauffement climatique, la neutralité carbone doit être atteinte au niveau global. Fixer des objectifs à atteindre est un premier pas. Mais, vous l’avez bien compris, le plus important est la stratégie et la vitesse d’implémentation. Dans la réalité, la mise en œuvre de ce concept pose plusieurs difficultés. C’est compliqué et ça demande beaucoup d’engagements en termes de moyens et de ressources. La disponibilité des outils de mesure des émissions et la complexité de la collecte des données ainsi que leur traitement reste un grand frein pour un engagement efficace.

À ce jour, peu d’entreprises comptabilisent réellement les émissions générées tout au long de la chaine de valeur (Scope 3).

Souvent les projets de compensation sont vus comme pratique controversée qui consiste à financer des projets pour compenser ses propres émissions au lieu de mettre en place une stratégie applicable au niveau opérationnel de l’entreprise. Le plan d’action (d’une entreprise ou d’un état) qu’on aimerait voir doit consister à réduire drastiquement ses émissions avant tout recours à des compensations lui permettant d’atteindre l’objectif net zéro.

La décarbonatation ne peut être que collective. Elle doit démontrer un alignement de toutes les parties prenantes. Il s’agit aussi d’une transformation radicale des entreprises ce qui ouvre la porte à plusieurs opportunités de croissance et d’innovation. L’évolution impressionnante au niveau des technologies d’efficiences qui apportent des solutions optimales aux entreprises nous permet de croire encore que tout est possible.

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